32 / DIX MINUTES D’HISTOIRE DE L’ART : Gustave Courbet

Gustave Courbet par Marc Soléranski

Historien d’art et dramaturge

Studio Greg Léon Guillemin

 

 

 

Gustave Courbet est une figure majeure de l’art engagé, pour lui l’engagement politique a été non seulement le moteur de son œuvre peinte mais aussi la définition même du mouvement qu’il a créé, le mouvement réaliste et une action qu’il a menée au péril même de sa vie. Il n’a que 29 ans lorsqu’il peint l’enterrement à Ornan, une toile monumentale qui fait scandale au salon de 1850-1851. En effet il a choisi un format gigantesque, plus de trois mètres de haut pour six mètres quarante de large pour représenter une scène d’enterrement dans son village natal.

 

Normalement une toile d’un format aussi monumental est réservée à un grand événement politique, à une scène de bataille, une scène religieuse, une scène mythologique mais certainement pas à une scène de la vie quotidienne en Province. Aussitôt les critiques fusent, les quolibets, des indignations disant « quel intérêt de prendre un tel format pour nous représenter un défilée de personnes en deuil entourant une fosse où on enterre quelqu’un dont on ne révèle pas l’identité? » et de plus des personnages dont certains ont des trognes assez patibulaires, des physiques qui ne se prêtent pas du tout à la contemplation esthétique. Bref ce tableau indigne, mais c’est là que naît le mouvement réaliste en peinture.

 

En effet Courbet cherchait à répondre à deux conceptions de l’art qui s’affrontaient en France dans la première moitié du XIXème siècle. D’un côté les classiques pour lesquels le but est d’atteindre la beauté idéale et de donner un enseignement moral exemplaire. De l’autre, les romantiques, menés notamment par Géricault, Delacroix ou par des grands écrivains comme Victor Hugo, pour qui le but de l’art est avant tout de véhiculer un sentiment. Le sentiment doit l’emporter sur la réflexion. Face aux classiques auxquels il reproche de trop idéaliser, de trop aseptiser leurs visions de la réalité, aux romantiques auxquels il reproche de mettre trop de sentiment, Courbet oppose le réalisme. Ce réalisme se veut une représentation du monde qui lui est contemporain, tel qu’il est sans l’embellir et surtout en dénonçant les dysfonctionnements de la société de son temps.

 

C’est là que Courbet va développer cette conception du réalisme dans un grand pavillon qu’il a fait édifier spécialement lors de l’exposition universelle parisienne de 1855. Face à l’enterrement à Ornan, il place un tableau tout aussi monumental qui représente son atelier avec lui même à l’intérieur en autoportrait entrain de peindre un paysage. « L’atelier de l’Artiste » est sous titré allégorie réelle dressant le bilan de sept ans de ma vie d’artiste. Et de nouveau cette conception de réalisme fait scandale et surtout soulève une incompréhension qui est toujours d’actualité.

 

En effet à l’époque de Courbet comme aujourd’hui on a tendance à confondre l’adjectif réaliste avec l’adjectif vraisemblable. Souvent on dit que quelque chose n’est pas réaliste lorsque l’on n’y croit pas, que ça ne reproduit pas notre conception de la réalité. Or si on observe bien ce tableau, tout y est invraisemblable. En effet on est censé être dans l’atelier de Courbet or on a l’impression d’une scène de rue, d’une scène extérieure où il y a des passants de toutes sortes qui se promènent, qui ne prêtent même pas attention à l’artiste.

 

De plus comble d’illogisme, Courbet a fait poser une femme nue, pour peindre quoi donc ? Pour peindre un paysage et ça ne semple même pas choquer son modèle. Il y ici une incohérence complète. En effet ce tableau n’est pas du tout vraisemblable, mais il reste réaliste.  En quoi consiste le Réalisme selon Courbet ? C’est de ne peindre que la réalité qui est quotidienne et contemporaine de l’artiste. Et en ceci il rejoint la démarche d’un grand romancier qui est décédé l’année même où Courbet commence à peindre l’enterrement à Ornan, Honoré de Balzac. Honoré de Balzac dans la Comédie humaine veut dépeindre toute la société de son temps depuis les plus humbles mendiants, les figures de la marginalité, les prostituées jusqu’aux chefs de l’État. C’est ce que fait Courbet dans ce gigantesque tableau, dont il a dit : « C’est le monde qui rentre dans mon atelier pour s’y faire peindre » .

 

En effet on y trouve aussi bien des portraits de bourgeois, des portraits de poètes – d’ailleurs on reconnait tout à fait à droite le jeune Charles Baudelaire entrain de lire –  que du côté gauche, le chef même de l’État, Napoléon III, ici costumé en chasseur, assit. En fait ce tableau est une sorte de catalogue de toute l’œuvre peinte de Courbet. On a le paysage, on a la femme nue, on a le portrait, on a les différents niveaux de la société, de la plus triste mendiante qui allaite son enfant à même le sol, on a des natures mortes.

 

Par contre Courbet montre aussi ce qu’il ne voudra jamais peindre. Ce qu’il ne voudra jamais peindre c’est ce qu’il y a caché dans l’ombre, relégué derrière le chevalet, un mannequin à la position de crucifiée avec même un crâne à côté du pied. Le crâne qui figure habituellement au pied des crucifixions pour représenter le Golgotha. Et bien en fait c’est une manière de dire: « je vais peindre tout cela, tout ce qui est concret, tout ce qui est contemporain mais jamais je ne voudrais peindre les sujets religieux qui font le succès de mes contemporains, classiques ou romantiques à l’académie. »

 

Or Courbet va aller jusqu’à tourner en dérision la tradition de la peinture religieuse. Pour Khalil-Bey qui était venu de l’Empire Ottoman et qui était un grand amateur de peinture érotique, il peint un sexe de femme à qui il donne le nom provocateur de « L’origine du monde ». L’origine du monde a une consonance biblique, elle fait écho à la Genèse. Simplement c’est une manière de dire : « pour moi la création du monde ne vient pas du verbe de Dieu, elle vient de phénomènes purement naturels, de la procréation, elle vient du sexe. »

 

Même chose lorsqu’il représente une scène saphique, deux femmes nues enlacées toujours destinée au bon plaisir de Khalil-Bey, aujourd’hui conservé au Petit Palais et le tableau s’intitule « Paresse et Luxure ». On a comme une allégorie de deux des sept péchés capitaux mais qui ici représente finalement une scène sexuelle, une relation sexuelle entre deux femmes. Courbet fait définitivement des entorses à la morale de son temps afin de montrer la société sous tous ses aspects sans la juger mais à travers ses qualités comme ses dysfonctionnements.

 

C’est ainsi qu’il va avoir un parti extrêmement personnel pour représenter la vie des paysans de son temps. « Les cribleuses de blé », par exemple, n’ont pas de larmes, ne représentent pas de scène tragique comme on en verrait chez les classiques ou les romantiques. Ce sont juste des paysannes, prisonnières du mouvement arasant, du mouvement ininterrompu de ce crible qu’elles doivent toujours tourner à longueur de journée au point que la pièce entière finit par prendre ce mouvement tournant, circulaire qui semble happé tout le monde.

 

Courbet montre à travers ces scènes ordinaires, simples, sans transposition ou plutôt transposées mais sans affect, la misère des paysans. Là où Courbet peut être un véritablement précurseur de mouvement actuel comme l’Artivisme, c’est que cet engagement il ne le mènera pas seulement sur la toile, il le mènera également dans son action personnelle puisqu’il est engagé dans la Commune de Paris en 1871.

 

Lorsque la Commune a été écrasée par les Versaillais, on a accusé Courbet d’avoir été à l’origine du déboulonnement de la Colonne Vendôme. On a voulu l’obliger à réédifier la Colonne Vendôme à ses frais, dont il n’avait évidemment pas les moyens.

Courbet sera donc obligé de s’exiler complètement ruiné, son engagement politique aura véritablement ruiné sa vie, le mènera vers un décès triste et misérable mais un grand pas sera franchi pour la postérité, sans le Réalisme de Courbet ne se seraient pas développés les grands mouvements artistiques Naturalisme et Impressionnisme qui se développeront sous la troisième République.

 

 

 

Traduction : Marion Bouvet

 

Le concept de cette série « Dix minutes d’histoire de l’art » est un tournage en une seule prise de vue sans montage ni retouche video ou sonore, immortalisant ainsi l’instant dans sa réalité la plus absolue.

 

The concept of this series called « Dix minutes d’histoire de l’art » is a video capture in one take, without any editing or video or sound touch-ups in order to immortalize the moment in its most absolute reality.